(Billet publié sur LinkedIn le 1 août 2019)
Chaque jour, une centaine d’espèces animales ou végétales disparaissent, conséquence de l’action humaine qui semble redoubler d’imagination pour tenir ce rythme.
Cet été, dans un village de Dordogne, des habitants importunés par le bruit des cigales ont demandé à une entreprise de venir les éradiquer. A quelques heures de route, dans un village du Puy de Dôme, c’est une famille qui s’est plainte des déjections des abeilles d’une ruche voisine. Dans les deux cas, il n’a pas été donné suite à leurs demandes mais ces deux exemples, anecdotiques (?), confirment (si c’était encore nécessaire) cette capacité humaine de destruction « gratuite » de son environnement.
Plus loin et plus grave, la déforestation de l’Amazonie est à présent un projet politique national et la Patagonie vient de connaître sa première marée noire.
Face à ces catastrophes récurrentes qui paraissent presque des fatalités ou aux deux exemples français, dérisoires en comparaison, il apparaît plus qu’urgent de lutter vraiment contre la réduction de la biodiversité.
Parmi les espèces durement touchées, les abeilles jouent un rôle particulier puisqu’elles interviennent activement dans le processus de pollinisation. Confronté à ce déclin, certaines entreprises proposent des solutions techniques à base de robots et de drones.
L’être humain pense-t-il pouvoir corriger ses erreurs avec des outils et quelques applications ?
La pollinisation des plantes à fleurs par les insectes est un processus essentiel, notamment en agriculture mais aussi pour la préservation de la biodiversité. Ainsi, les abeilles (et autres insectes pollinisateurs) permettent la reproduction de plus de 80% d’espèces végétales et génèrent ainsi 10% du CA de l’agriculture mondiale. Le programme de surveillance européen estime que « la liste des plantes à fleur pollinisées par les abeilles représente environ 170 000 espèces, dont 40 000 se porteraient mal sans la visite des abeilles ». Les récoltes de fruits et légumes pollinisés par les abeilles représenteraient autour 76 % de la production alimentaire en Europe, avec un impact de 22 milliards d’euros environ par an (d’après l’étude de 2013 menée par Deloitte pour la Communauté Européenne). Au niveau mondial, selon un rapport de l’Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES), 235 à 577 milliards de dollars de l’agriculture dépendraient de l’action pollinisatrice des insectes (153 milliards d’euros d’après une étude INRA).
Malheureusement, depuis près de 50 ans, on observe une baisse constante des essaims et des abeilles (« syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles » ou « Colony Collapse Disorder »).
De nombreux facteurs expliquent cette tendance dont les pesticides semblent être la cause principale (mais pas unique).
Face à cette situation dramatique, le stratégie fataliste serait de ne rien faire en se disant puisqu’on vient de se faire piquer par une abeille, il doit y en avoir suffisamment (la « philosophie » de Trump face à la vague de froid de cet hiver). Les conséquences sont connues : la diminution du nombre d’abeilles entrainera nécessairement une baisse des récoltes et un accroissement des coûts. Il faudra alors utiliser massivement le peu d’abeilles disponibles en les mettant à disposition d’exploitation agricoles par rotations, ce système de location étant déjà largement pratiqué aux États-Unis. Mais au final, l’impact économique sera terrible et cette voie seule ne sera pas tenable.
On pourrait alors tenter une généralisation de la pollinisation manuelle (en arguant peut-être qu’en plus cela crée des emplois). Cette approche, qui existe déjà, permet, au Japon par exemple, d’obtenir des fruits très « purs » puisque le processus est parfaitement contrôlé. Mais une abeille peut stocker sur une seule de ses pattes postérieures 500 000 grains de pollen et visiter en 250 fleurs par heure. Il est impossible pour un être humain de tenir ce rythme.
Reste alors la stratégie tendance : la robotique et l’Intelligence Artificielle.
Ainsi, Wallmart a déposé, courant 2018, un brevet pour des « robots-abeilles » capables, notamment, de repérer le pollen et de suppléer les abeilles. Ces « Robees » sont dans la continuité d’expérimentations faites dès 2013 par l’Université d’Harvard avec des mini-drones abeilles (un dixième de grammes) pouvant voler, plonger et nager…
Au Japon, les chercheurs de l’Institut national des sciences et technologies industrielles avancées (AIST) ont développé un drone équipé de crins de cheval et d’un gel ionique en mesure de récolter le pollen et le redéposer sur des pistils cibles. En plus, le gel peut changer de couleur afin de dérouter d’éventuels prédateurs. Mais il ne s’agit que d’un prototype.
De manière opérationnelle, la société Dropcopter propose, quant à elle, déjà des flottes de drones pour polliniser les zones agricoles, notamment quand l’activité des abeilles est au plus bas, la nuit ou par temps froid. La startup indique pouvoir traiter plus de 16 hectares par heure et contribuer à une amélioration de la production de 25 à 60% en pollinisant les fleurs avec précision (« plutôt que les modèles imprévisibles des abeilles » expliquent le site Internet).
L’Europe et la France, conscientes des risques notamment pour l’agriculture et plus généralement pour la biodiversité, ont initié des programmes de surveillance de mortalité des abeilles et des actions de soutien à l’apiculture (Plans spécifiques de soutien à la filière apicole). Malgré ces actions, la tendance ne semble pas évoluer favorablement : le taux mortalité hivernale 2017-2018 des abeilles pour l’ensemble de la France métropolitaine est évalué à 29% (source Plateforme nationale d’épidémiosurveillance en santé animale).
Si les abeilles venaient à disparaître, contrairement à une prédiction qui dit que l’humanité ne survivrait pas 4 ans, il est probable que l’être humain parviendrait à trouver des palliatifs.
Dans sa capacité à inventer pour corriger ses erreurs, il peut en effet être très imaginatif. Il est donc possible que des robots, drones ou autres objets intelligents seront en mesure d’accomplir les tâches réalisées naturellement par les abeilles. Mais cela ne pourrait être que sur des zones limitées (les exploitations agricoles) car on imagine mal couvrir les zones non cultivées de milliers d’objets volants. Le vent ne participant qu’à 10% de la pollinisation, progressivement, des centaines d’espèces végétales ne pourront se reproduire.
Puis, comme il n’y aura plus de miel naturel, un miel synthétique chimiquement parfait composé de glucose, d’un peu de fructose et à un pH constant (conforme à de nombreuses normes européennes et validées par un futur CETA) remplacera le miel du maquis ou de châtaigner.
La robotique, l’IA et la technologie donneront donc, peut-être, la possibilité à l’humanité de survivre encore un peu.
Mais il serait tellement plus agréable pour la planète et ses habitants de favoriser l’installation de ruches par les entreprises et les particuliers, de développer des programmes de formation à l’apiculture, d’inciter au parrainage ou au mécénat d’apiculteurs, et, si on aime les objets connectés de poursuivre les recherches sur les outils d’aide aux apiculteurs (ruches connectées, par exemple) bref, de mettre notre créativité au service de la nature sans croire que la technologie peut tout remplacer. Et il faut apprécier d’être piqué de temps en temps par une abeille ou d’entendre le chant des cigales 🙂
Laurent Cervoni, @Talan
PS : pour parrainer une ruche, il existe plusieurs sites Internet (par exemple : ici, là ou celui-ci). Il est aussi possible de trouver un apiculteur près de chez soi via ce lien ou celui-là.
Source : Image parDJI-Agras de Pixabay