Le Conseil d’Etat vient de publier une étude intitulée « Puissance publique et plateformes numériques : accompagner l’«ubérisation».
Ce rapport ouvre des perspectives et des pistes pour accompagner l’intégration du numérique à plusieurs niveaux dans le fonctionnement de l’État.
Les 4 grands axes de réflexion proposés relèvent de l’évidence de bon aloi :
- Repenser la norme européenne pour libérer l’innovation et protéger de ses excès
- Réaffirmer l’unicité du droit applicable
- Repenser collectivement la nécessité des normes existantes
- Utiliser les opportunités issues de l’« ubérisation » pour réduire la complexité et améliorer la vie de tous,
Les 21 propositions qui en découlent sont plutôt pertinentes mais sont, il me semble, malheureusement souvent loin des préoccupations des élus en matière de numérisation des services publics. Le dernier surtout qui propose de prévoir, à titre expérimental, l’élaboration d’un projet de décret ou de loi selon les modalités inspirées des méthodes dites « agile », va faire face à un gouffre conceptuel et méthodologique… 🙂
Le rapport du Conseil d’Etat reste néanmoins intéressant.
Cependant, de mon point de vue, le Conseil d’Etat a tort de consacrer le terme d’uberisation pour fonder son argumentation.
Tout d’abord, parce qu’il n’y a aucune raison d’associer un mouvement de fond (économie de la convergence commencée dans les années 90 poursuivi par la généralisation des usages liés au numérique) à une entreprise qui, à part au regard de ceux qui découvrent ce mouvement, n’a rien inventé et n’est pas précurseur en matière de remise en cause de marchés établis. Airbnb, parmi d’autres, avait ce modèle bien avant. C’est l’incapacité des pouvoirs publics à maîtriser la mise à mal d’un secteur protégé (les transports de personnes) qui a donné un éclat particulier à cette situation et mis en évidence ce modèle économique.
Par ailleurs, ce terme est restrictif. En effet, Amazon Mechanical Turk, créé là aussi bien avant Uber, est encore plus emblématique de la décentralisation des activités grâce au numérique et de la mise en relation à des coûts « élémentaires » de consommateurs et de fournisseurs de services via des plateformes (à une échelle internationale).
Enfin, d’autres acteurs ont bien avant Uber bouleversé des marchés de façon bien plus innovante et de manière durable (Apple avec l’iPod puis l’iPhone, Amazon avec sa place de marché, Google, etc…).
Il me paraît donc regrettable que le Conseil d’Etat soit tombé dans cette facilité sur le choix du terme et fasse ainsi la promotion d’une marque qui n’est finalement symbolique que par sa remise en cause d’un secteur (mal) protégé.
Avait-il des alternatives ? « disruption » est sans doute un mot plus approprié, par exemple. D’origine latine, la disruption vient du verbe latin disrumpere, briser en morceaux, faire éclater, rompre, détruire…. pour aujourd’hui modifier les anciens schémas de l’innovation et être le premier à proposer de nouveaux modèles. Toutefois, la marque « disruption » a été déposé par Jean-Marie Dru, président de TBWA, en 1992 pour protéger la « méthodologie créative » proposée aux clients de l’agence.
Mais Fenêtre et Pomme sont aussi déposés comme marques ce qui n’interdit pas de les utiliser.
L’innovation disruptive doit-elle être réduite à l' »ubérisation » ?
Le rapport du Conseil d’État peut être téléchargé ici.
PS : si M. Dru s’oppose à l’utilisation courante de disruption, je dépose la marque ubérisation 🙂